jeudi 9 février 2012

Le jeune homme et les flics


J’ai eu la chance lors d’une émission de radio de rencontrer Zakaria Bouguira dont les malheurs sont désormais connus de tous… Je ne sais pas si pour vous ce nom est familier, mais pour moi il l’est... Non pas que je le connaisse personnellement, mais j’ai pu suivre avec effroi ses aventures avec la police, mésaventures serait plus à propos à vrai dire…

Pour ceux qui ne connaissent pas son histoire, je me permets de vous en raconter une partie.

Le premier épisode des mésaventures de Zakaria commence un certain 13 novembre 2011 (oui je dis bien 2011, Ben Ali était donc parti depuis un moment) quand, à l’aéroport de Tunis/Carthage, il a été témoin de la brutalité de notre police nationale envers des supporters marocains venus encourager le Wydad de Casablanca alors en déplacement à Tunis, ces derniers, mécontents de la défaite de leur équipe, ont un peu foutu le bordel (j’ai choisi cet article dont les commentaires sont à la limite du consternant, parce qu’il comporte un témoignage important, celui de l’autre partie sur cette affaire).

Cette façon de faire a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre (surtout chez les marocains).

Zakaria alors a voulu, comme nous l’avons tous fait à un moment ou un autre de cette dite révolution, filmer ce phénomène, et c’était là son crime ! Un crime pour lequel il a non seulement été passé à tabac, mais traité de traitre et traité comme tel ...
"Lui c'est un tunisien, il veut nous mettre sur Facebook"
Voici le récit de ce qu’il a vécu ce jour là, raconté par lui-même dans un article qui s’intitule, Libéré, mais pas encore libre

Il y raconte notamment une scène particulièrement choquante à laquelle il a été témoin :
" Alors que j’étais au toilettes me laver le visage un marocain était entrain de vomir. Un policier (le baraqué qui est passé a la télé disant qu’il s’est fait agressé) entre et demande a son collègue « c’est un des marocains ? » Ayant appris son identité il court vers lui et saute avec ses deux pieds sur le marocain écrasant sa tête sur la cuvette Il lui écrasa encore la face à plusieurs reprises avec un pied contre la cuvette jusqu'à le laisser dans son sang corps inanimé et tête dans les toilettes. Il sort ensuite des toilettes et couru vers la chambre des marocains ou son entrée ne causa que cries de douleurs et hurlements de paniques. "
Scène qu'il compare à celle ci :


! Attention scène particulièrement choquante, âmes sensibles s'abstenir !


 American History X Curb Stomp

Cet article partagé plus de 1000 fois a fait le tour des internautes tunisiens, et nous avons découvert avec effroi les pratiques toujours honteuses de notre appareil sécuritaire.


Là j’ouvre une parenthèse car "découvert" est un bien grand mot puisque ces incidents n’ont cessé de se produire dans la période transitoire malgré ce qu’a pu dire Sofiène Ben Hmida sur l’ère de Beji Caid Essebsi mais aussi Ghanouchi, quelques exemples me viennent à l’esprit : évacuation de la Kasbah, l’attaque contre les journalistes, la manifestation du 15 aout , l’agression de Aziz Amami pour une blague avec des… bananes ! Et j’en passe… autant d’exemples qui montrent qu’une réforme radicale de la police tunisienne est plus que vitale.

Source photo

Je reviens à ce qui nous intéresse, nous avions donc redécouvert ces pratiques honteuses… nous avons su par la suite que Zakaria avait porté plainte…

Le temps passe, nous oublions peu à peu cette histoire jusqu’au jour (le 20 janvier 2012) où Zakaria rencontre et reconnait l'un de ses agresseurs, voici le récit du deuxième épisode toujours raconté par lui-même : le jour où j'ai rencontré mon bourreau.

Extrait de l'article ci-dessus, voici le dialogue qu’ils ont eu (cliquer pour agrandir) :


Veuillez noter le puissant sentiment d'impunité chez l'homme en question, ses "vous n'arriverez à rien", "vous ne réussirez jamais à nous avoir".

Je félicite Zakaria pour avoir su garder son calme, même s'il se décrit lui même dans un état hystérique. Peu peuvent avoir autant d'assurance pour oser dire ce qu'il a dit à la face d'un policier, certes, ce dernier est l'agresseur, mais il n'en reste pas moins un policier toujours en fonction. Et de toutes façons il est rare qu'une victime tienne aussi tête à son assaillant, Dieu sait ce que d'autres auraient fait à sa place...

Cette fois Zakaria n'a pas été tabassé, probablement par peur de se retrouver encore une fois sur Facebook...


Le troisième épisode quant à lui ne s'est pas beaucoup fait attendre, le 1er février 2012 alors qu'il se trouvait à la Kasbah dans une manifestation de soutien à Samir Feriani, il reconnait encore une fois son agresseur parmi les protagonistes d'une toute autre manifestation, celle du syndicat des forces de l'ordre réclamant l'assurance de la sécurité des policiers.


Interrogé par Nawaat, il raconte : 
« Je ne pouvais pas rester à rien faire, en voyant cet air supérieur que ce policier arbore. Un air qui transpire le mépris et l’assurance de l’impunité. J’ai alors pris mon téléphone, je l’ai mis en marche en mode vidéo et je me suis dirigé vers lui en filmant»
La suite a été filmée par les caméras de Machhad.com :


Comme vous pouvez le voir sur cette vidéo, Zakaria a été arrêté sur deux fois, une première fois lorsqu'il s'est éloigné du groupe qui l'accompagnait, par des civils, qui l'ont laissé partir dès l'arrivée de ses amis, une deuxième fois par des officiers en uniforme qui l'ont accompagné jusqu'au poste de police de Beb Bnet, trajet qui sera semé de coups, d'insultes et d'humiliations... Au poste de police on lui fait signer un document stipulant qu'il ne citera plus le nom de son agresseur.

Témoignage des accompagnateurs de Zakaria 

J'ouvre une nouvelle parenthèse, même si Zakaria fut relâché dans les heures qui suivirent cette arrestation, on ne peut ne pas se poser de questions sur les intentions sur le long terme de nos policiers,  comme je l'ai dit plus haut, cet incident s'est produit le même jour que la manifestation du syndicat des forces de l'ordre qui réclamait des droits dont la sécurité pour eux ! Qu'en est il de la sécurité de nos concitoyens? N'est-il pas pour le moins étonnant qu'au même moment où ils protestent contre le manque de considération et la violence auxquels ils sont confrontés, ils manquent de considération et font acte de violence envers un citoyen tunisien? Les force de l'ordre sont au service du citoyen et cela est un fait, et si les forces de l'ordre ont évidemment le droit de demander des choses, c'est uniquement pour mieux exercer leur travail qui est d'assurer la sécurité du citoyen !

J'en viens au jour où j'ai rencontré Zakaria, de prime abord, il est dur de croire que ce garçon à l'allure frêle ait essuyé de telles maltraitances sans en garder de séquelles physiques, nous avons longuement parlé, et j'ai compris! J'ai compris que lorsque le physique fait défaut, c'est le mental et le courage qui prennent le relais...

Et pendant qu'il décrivait son calvaire d'une voix qui peut sembler stoïque à l'oreille, ses mains n’arrêtaient pas de malmener son écharpe d'une manière compulsive, seul signe d'un traumatisme pas encore guéri, jusqu'au moment où je tombe sur ce commentaire sur cet article de Nawaat 
           Issam dit :
" Ce sont de fausses accusations, qui n'ont rien à voir avec la réalité et c'est une déformation de la vérité. Il est vrai qu'un quiproquo a eu lieu entre le frère Zakaria et moi-même, et je suis prêt à comparaitre devant la justice qui en découdra, pour que chacun obtienne ses droits. La situation entre le frère Zakaria et moi a été réglée, et je vais vous poursuivre en justice pour diffamation et que celui qui a une preuve contre moi qu'il porte plainte " (traduction approximative)

Je le lui montre, en le lisant il semblait blasé, chose qui m'a étonné car en ce qui me concerne ma rage était indescriptible, et puis, d'un coup, il se mit à trembler, mais de tout son corps ! Il tremblait tellement que ma première réaction (j'avoue en avoir un peu honte) fut de reprendre mon téléphone de peur qu'il ne le fasse tomber... Je ne sais ce qui lui passa par l'esprit à ce moment là, il était peut-être énervé, peut-être revivait-il le "quiproquo" en question, ou encore était-il saisi d'une incertitude quant à son avenir... Toujours est-il qu'il tremblait comme une feuille au vent...

Ce spectacle seul était insoutenable pour moi, car de jeune homme de 25 ans plein d'assurance, il était passé, à mes yeux, à un enfant fragile qui appelle à l'aide, c'était une impression éphémère, mais qui m'a sensiblement marqué...

Je lui ai demandé pourquoi il tremblait, pas de réponse...

Il se contenta seulement de dire après avoir longuement tiré sur sa cigarette "il a peur, ça se voit", ce à quoi je répliquais que c'était plutôt un bon signe, "pas vraiment, c'est là qu'ils sont le plus dangereux"...

Et de me lancer dans une tirade mais tu es connu maintenant, ils ne peuvent rien te faire, c'est presque une confession... bref, rien n'y fait, quelque chose dans son regard avait changé, un mélange de certitude et de doute à la fois... Mais je n'y ai pas décelé de peur... Il ne retrouvera son état normal que lorsque nous changerons de sujet.

Sa détermination quant à elle semble intacte, il est n'est pas prêt de lâcher, et tant qu'il aura du soutien, il ne lâchera pas, il est devenu, malgré lui peut-être, un symbole. Et à travers lui je vois notre chance !

Si comme Zakaria nous restons déterminés à avoir nos destins en main, si, comme lui, nous ne nous taisons plus jamais sur ces pratiques qui étaient pour le moins routinières lors du précédent régime, si nous dressons comme un seul homme pour combattre la brutalité policière (et tout les anciens réflexes d'ailleurs) et surtout si nous ne laissons jamais la peur s'installer en nous à nouveau, nous avons une chance !

Il est néanmoins à noter que Zakaria a au moins cette chance  dans son malheur d'avoir une volonté de fer et un entourage bienveillant et qui le soutient sans brancher, qu'il s'agisse de sa mère ou encore de ses amis qui l'arrachent littéralement des mains des flics, d'avoir un comité de soutien prêt à bondir à la moindre alerte, et finalement il a cette chance d'avoir le courage de s'exprimer et de savoir le faire, car sans ses articles largement diffusés sur les réseaux sociaux, nul ne peut dire ce qu'il serait advenu de lui... Au mieux, son cas serait passé inaperçu, au pire...

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